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AILES

Création joaillière - Chaumet (lauréat)

AAAAALes abeilles, insectes apparus il y a plus de cent millions d’années, ont toujours bénéficié auprès des hommes de la réputation d’être dévolues, vertueuses et industrieuses. Pour la chrétienté, elle revêt, comme Dieu, une double symbolique : elle peut punir de son dard et soigner de son miel1. Aussi, si sa nature parfois agressive put inspirer à Louise-Bénédicte de Bourbon, duchesse du Maine, sa devise –

« elle est petite, mais fait de graves blessures » –, c’est surtout son caractère bienfaisant qui demeure au cœur de l’imaginaire collectif.

AAAAAOn peut aujourd’hui admirer, au Département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France, quelques trésors issus du tombeau de Childéric Ier, exhumés à Tournai par un maçon, par hasard, en 1653. Parmi les objets relevés par Jean-Jacques Chifflet (1588-1660) dans son Anastasis Childerici I, on trouve des dizaines d’abeilles d’or, semées dans la sépulture2. L’historien Michel Rouche3 pense cette coutume inspirée de rituels Thuringiens que le roi Childéric put voir lors de son exil de huit années auprès du roi Basin de Thuringe. Plus tard, alors que la Révolution grondait, Napoléon Bonaparte se serait, selon la médiéviste Colette Beaune4, beaucoup intéressé à ces abeilles : comme nous le savons, il en fera l’un de ses emblèmes héraldiques. Et, grâce à son fondateur Marie-Étienne Nitot, joaillier attitré de l’empereur Napoléon Ier, la Maison Chaumet a su se faire une place dans le flot historique de ce poétique motif de l’abeille.

I SYMBOLIQUE

AAAAALes abeilles constituent une espèce qui, au long de ses cent millions d’années d’existence, a montré d’incroyables capacités d’adaptation et d’évolution ; elles sont travailleuses, solidaires, fortes et autonomes.


La communauté qui bourdonne dans les ruches est aussi presque exclusivement féminine. Ce sont les abeilles qui bâtissent les alvéoles, butinent le nectar pour le transformer en miel, récoltent le pollen pour la nourriture des œufs, défendent la ruche contre toutes sortes de prédateurs, ventilent la demeure l’été et la réchauffent durant le long hiver. Le mâle, que l’on appelle « faux bourdon » ou « abeillaud », sert presque uniquement à la reproduction, bien qu’il puisse parfois réchauffer le couvain. Ces abeillauds donnent à la colonie une ambiance que les chercheurs estiment peut-être nécessaire, mais leur rôle comme leur nombre restent mineurs dans la vie de la ruche.


AAAAAL’abeille constitue ainsi un symbole féminin fort.

AAAAAElle est également un des symboles de l’éloquence5.

AAAAACes qualités énumérées feront tout à fait écho à celles d’une femme d’aujourd’hui.

AAAAALe motif de l’aile d’abeille répond aussi à deux sources d’inspiration majeures de la Maison Chaumet : celle de la nature, celle de l’architecture. Qui aujourd’hui associerait encore l’enroulement des feuilles d’acanthe à l’art de bâtir ? Si ce dernier demeure le symbole même de l’architecture, les créations contemporaines se tournent plus volontiers vers des formes aériennes, légères et fluides : la Fondation Louis-Vuitton réalisée par Frank Gehry pourrait tant évoquer les élytres de certains insectes que les ailes des abeilles. L’attrait pour l’esthétique de ces ailes et élytres n’est en rien nouveau. À l’entrée « insecte » de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751), on pouvait déjà lire que les élytres avaient « beaucoup de variété dans leur figure et dans leurs couleurs » ; les ailes, « très minces et transparentes », étaient quant à elles considérées tout aussi splendides et riches dans leurs déclinaisons.


AAAAAAinsi, tout comme les joailliers du XIXème siècle puisaient leur inspiration dans les ordres classiques, l’architecture organique peut aujourd’hui apporter tout autant à la création joaillière. Dans sa charte de Gaïa, l’architecte et urbaniste David Pearson a défini que l’architecture organique devait « être inspirée par la nature et être durable […], dépliée, comme un organisme se déplierait depuis l’intérieur d’une graine [et] suivre le mouvement et rester flexible et adaptable »6. Apprenant la leçon de cette charte, nous pourrions glaner notre inspiration dans d’autres exemples de l’architecture contemporaine : la forme de la chapelle Saint-Bénédict (Sumvitg, Suisse) de Peter Zumthor ; le traitement de la toiture du restaurant Les Cols (Olot, Espagne) de l’agence RCR ; l’élan des pavillons du centre culturel de Tjibaou (Nouméa, France), réalisés par Renzo Piano.

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Chapelle Saint-Benedict, Peter Zumpthor

AAAAALes ailes des abeilles sont aussi intéressantes pour leurs qualités physiques et leur utilité biologique. Elles revêtent un aspect qui m’a paru être important aux yeux de la Maison Chaumet lors de la séance d’information au « 12 place Vendôme », ou en observant ses créations tout du long de son histoire : le mouvement. Les ailes permettent à l’abeille de se mouvoir en tous sens, de voler avec grâce. Elles permettent également de produire par vibration des sons qui constituent un moyen de communication. 

* Les ailes à partir desquelles j’ai travaillé proviennent d’abeilles emportées par le froid de décembre 2017, au seuil de mes propres ruches situées à Guiche, en Aquitaine.

II APPLICATIONS

AAAAACe motif est également déclinable de très nombreuses façons, dans de très diverses matières. Dans ses expressions les plus simples et les plus fines, elles pourraient évoquer les feuilles réalisées par l’orfèvre Martin-Guillaume Biennais pour la couronne de laurier que portait Napoléon Bonaparte, en 1804, lors de son sacre ; l’une d’entre elles a été vendue récemment, le 19 novembre 2017, par la maison de vente Osenat. Recreuser ces ailes pour n’en plus laisser que les nervures pourrait également constituer une piste.


AAAAADans des formats plus réduits, tel que pour des bagues, la membrane dessinée par les nervures pourrait être réalisée dans des pierres plus précieuses, ou même dans du nacre, afin que la couleur de ce remplissage laisse aux ailes leur aspect de légèreté.


AAAAAAussi, s’inspirant du diadème aux épis de blés balayés par le vent (Nitot, c. 1811), la multitude des ailes composant un diadème ou un collier pourraient être amovibles, différemment assemblables, permettant une composition changeante, constamment renouvelée et rafraîchie.

AAAAAJe pense que les créations joaillères découlant de ces idées siéraient parfaitement à une femme qui incarne « grâce et caractère », dans l’esprit de la Maison Chaumet.

 

Texte de Gaspard Lesbegueris

 


1HERMANN Hans, CAZENAVE Michel, Encyclopédie des symboles, Librairie générale française, Paris, 1996
2Il les reproduit aux pages 141 et 322.
3ROUCHE Michel, Attila, Fayard, 2009, p. 275
4BEAUNE Colette, Naissance de la nation France, vol. III : « Le roi, la France et les Français », Gallimard, coll. « Folio histoire », chap. VIII, p. 239
5VULSON de LA COLOMBIÈRE (de) Marc, La Science héroïque, à Paris, chez Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1644, p. 348 : « elles sont aussi indice d’éloquence, car ce qui provient d’elles est doux et agréable comme sont les belles paroles à ceux qui les écoutent »
6PEARSON David, Vivre au Naturel : La Maison Ecologique, Paris, Flammarion, 1ère édition, 1992

Restaurant « Les Cols », RCR architectes

Centre Culturel Tjibaou, Renzo Piano

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III ESQUISSES

Crayon sur papier A4 Khadi Paper 640g

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