Jules Lesbegueris
Sérigraphies et lithographies à retrouver sur : https://maison-contemporain.com/artiste/lesbegueris-jules/
« Wall Street I »,
Photo,
New York City, 2016
« The Invisible », ou « War veteran »,
Photo,
Park Avenue, New York City, 2016
*Nominée dans le cadre du concours franco-allemand Solidarité - 2022
Texte écrit par Gaspard Lesbegueris dans le cadre du concours photo franco-allemand 2022 sur le thème de la "solidarité" pour la photo « The Invisible » :
Exalter une valeur, pousser à y adhérer, passe souvent par la démonstration crue de son contraire. Les appels à la paix exposent la sauvagerie de la guerre, les consciences s’éveillent aux sévices des famines devant des corps émaciés. La photographie a ce pouvoir du sans détour qui fait entrer en collision le spectateur et le réel, plus rapidement et plus sûrement qu’une œuvre qui passerait ce réel au crible d’une technique donnant déjà lieu à une interprétation.
Ainsi ce cliché saisit-il un moment du solitaire et brutal quotidien d’un vétéran de guerre de l’armée américaine, que la vie a poussé à la mendicité. Le voici seul, dominé par l’immensité de la ville de New York. Les hommes, êtres sociaux par essence, ont-ils cherché dans le modèle des villes une façon de se réchauffer comme les oiseaux d’une couvée dans leur nid ? L’Ancien Testament nous indique que Caïn construisit la première ville dans le pays de Nod (« pays de l'errance ») et la baptisa du nom de Hénoc (« commencement »).1 Un havre dans le pays de l’errance, un lieu pour se rassembler enfin ! Cette ville rêvée restera bien rêvée. Dans les textes de plusieurs religions, que de villes détruites par la fureur divine parce qu’hébergeant vice et malheur. Après l’Apocalypse, c’est à nouveau une ville qui est promise aux chrétiens : la Jérusalem céleste. Mais revenons à nos villes contemporaines. Carl Honoré, dans son Éloge de la lenteur, constatait que « tout dans notre vie urbaine – la cacophonie, la voiture, la foule, la consommation sans frein – nous invite à nous précipiter plutôt qu’à nous détendre, prendre du recul ou établir des contacts avec autrui. ».2 La dimension seule de cette ville-ogre, qui accueille mais dévore, rend-compte de la petitesse – disons-le, de l’insignifiance – de l’individu. Elle fait ployer la tête de l’ancien soldat. La ville est froide et plongée dans le noir, elle s’ouvre en de multiples canyons : au sommet le soleil réchauffe les bienheureux, mais on ne trouve dans le fond qu’une maigre chaleur, échappant très parcimonieusement aux rangs des buildings qui dessinent Park Avenue. Le cliché profite de cette lumière – justement – pour la faire, pour révéler le laissé pour compte, à qui la solidarité est refusée.
Peut-être avait-il lui-même expérimenté, plus frontalement qu’à travers la photographie, la réalité de la guerre et de la famine que nous prenions en exemple au début de ce propos ; et voici, s’y attendait-il ? une nouvelle figure née des horreurs de la guerre et du dédain de ses congénères. « War veteran », peut-on lire sur sa pancarte : voici l’homme devenu un consommable, jeté après avoir servi, hors solidarité, hors in solido, hors du « pour le tout. »3
1 Genèse 4, 17-24
2 HONORÉ Carl, Éloge de la lenteur, 2005, Paris, Hachette Livre (Marabout), p. 171
3 REY Alain (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, 2012, Paris, Dictionnaires Le Robert, t. 3, p. 3385
Exposition 2022 "SOLIDARITÉ"
Commentée par Jean-Christophe Ballot :
« On croit déchiffrer l’ambiance des rues de New York. La composition est parfaite selon un jeu de lumières établi en cinq temps : Le bleu neutre du ciel tout au fond ; la perspective des buildings qui vont se perdre à l’horizon et qui sont dans la lumière ; les bâtiments et les voitures au premier plan dans l’ombre ; une raie de lumière perpendiculaire qui révèle théâtralement le personnage ; et encore tout en bas de l’image une dernière bande d’ombre.
Les deux éléments dynamiques se tournent le dos : la perspective des bâtiments dans la lumière part vers le haut gauche de l’image tandis que le personnage, déjà décadré en bas à droite, regarde vers l’extérieur de la photographie. Au delà de cette forme accomplie, l’image nous parle de la solitude des sans-abris dans les grandes villes. C’est le thème traité en contre point, en négatif le manque de solidarité ».
À retrouver sur le lien suivant :
« Chrysler Building » & « Empire State Building »,
Photo,
Depuis Roosevelt Island, New York City, 2016
« Vers Guiche I & II - Coney Island »
Photo,
New York City, 2016